Vague nippone (25/01/2011)
En voyant comment les mangas se sont imposés dans le paysage de la BD en France, ainsi que les animes (les films de Miyazaki étant désormais aussi attendus que ceux des studios Disney), je me faisais la réflexion que j’avais assisté, avec ceux de ma génération, à la naissance de cette vague nippone.
Je me souviens, au début des 70’s, du Roi Léo et de Prince Saphir, adaptations en dessins animés d’œuvres du pape du manga, Osamu Tezuka.
Mais c’est surtout Goldorak, bien sûr, qui a cassé la baraque en 1978, devenant un vrai phénomène de société (Il a fait la une de Paris Match !) et générant entre adultes des débats dont l’enfant que j’étais se fichait éperdument. Goldorak était le héros de mes neuf ans, et là était l’essentiel !
Le Roi Léo avait égratigné la porte ouvrant sur l’imaginaire peuplé de héros de dessins animés occidentaux, Goldorak l’a enfoncée à coup de fulguropoings. D’autres héros venus du pays du Soleil levant se sont engouffrés par la brèche : Candy, Albator (mon préféré), Capitaine Flam, Ulysse 31, une collaboration entre Japonais et Français au même titre que les Mystérieuses cités d’or, etc…
A ce moment là (dans les années 80), on n’entendait pas parler d’anime ou de manga, à moins d’avoir une connaissance pointue de la culture japonaise. La première fois que j’ai entendu le terme de manga, c’était dans les années 90, et encore utilisé de manière impropre, puisqu’on parlait de mangas pour désigner les animes. Et dans l’esprit de pas mal de gens, manga signifiait produit de seconde zone, et japoniaiseries est un terme qui revenait un peu trop souvent. Je me souviens de lecteurs de revues de ciné (comme Mad Movies) reprochant dans leur courrier une trop grande importance accordée aux animes, alors que les journalistes commençaient à parler des œuvres de Miyazaki.
La donne a bien changée, animes et mangas ont acquis leurs lettres de noblesse. Mais le chemin a été long.
Grâce à l’engouement de la jeunesse pour ces BDs d’Extrême Orient, ceux de ma génération peuvent désormais découvrir en langue française les mangas d’origine des héros de dessins animés de naguère (je pense notamment à ceux de Leiji Matsumoto : Albator, Galaxy Express 999, Queen Emeraldas…), les séries font l’objet de rééditions en VOST intégrales et collectors en DVD, ce qui permet de les découvrir sous un nouveau jour. Bref, la boucle est bouclée.
Ce n’est pas uniquement un sentiment de nostalgie qui me pousse à regarder de nouveau ces animes. Le fait qu’il soit possible de les voir en VOST permet donc de les redécouvrir, littéralement, en se rendant compte de ce qui a été édulcoré ou tout simplement censuré.
Par exemple, Albator, dont les trois derniers épisodes de la première série furent totalement censurés par chez nous en 1980, pour cause de scènes jugées trop violentes, nous privant de la fin de l’histoire. Il faudra attendre le début des années 2000 pour la connaître, en vidéo. Il était temps ! Et franchement, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat.
Il est amusant de se dire que ce qui a été censuré à l’époque ne le serait plus aujourd’hui, mais que peut-être d’autres choses ne passeraient pas.
L’alcool par exemple. Très présent dans l’anime et le manga. On voit souvent Albator boire du vin (eh oui, c’est bien connu, Albator aime faire une halte au bar^^). L’alcool est la nourriture de base d’un des personnages, Clio, et le médecin du bord, le Dr Zero, est un pochtron notoire !
Dieu merci, cela n’a pas titillé les censeurs à l’époque, mais aujourd’hui ? On nous ferait peut-être croire que le capitaine aime siroter du jus de framboise, pour cadrer avec la couleur du liquide.
Quant à l’épisode où seuls Clio et le Dr Zero échappent à une contamination car ils sont immunisés par l’alcool et guérissent leurs compagnons d’équipage en leur en administrant, je crois qu’il passerait carrément à la trappe !
La censure qui fut encore à l’œuvre sur L’Atlantis de ma jeunesse, le film qui sert de prélude à la seconde série, Albator 84. La fin est incomplète, l’ancêtre d’Albator pendant la seconde guerre mondiale n’est plus allemand mais français, les dialogues sont édulcorés sans parler des métaphores poétiques typiquement japonaises qui sont éliminées.
Grâce aux dernières éditions DVD qui permettent de voir l’œuvre dans sa version originale, on réalise combien on avait eu droit jusqu’alors à une version Canada Dry du pirate de l’espace.
Le mot corsaire est par ailleurs préféré à pirate, plus soft certainement.
Quant à l'origine du nom donné dans la VF au héros principal, elle permet à elle seule d’apprécier les travestissements parfois assez ridicules utilisés par les "traducteurs" d’alors, et de se rendre compte du choc culturel Europe/Japon.
Le capitaine Albator s’appelle dans la VO Captain Harlock. La légende veut que ça soit l’inénarrable Eric Charden (qui chante le générique français de la première série) qui ait trouvé le nom d’Albator car il trouvait que capitaine Harlock ça ressemblait trop à capitaine Haddock. Des fois qu’on confonde…
Il a donc mis dans un shaker à noms un albatros (symbole de liberté d’après lui) et un ami à lui joueur de rugby nommé Balator (quel rapport entre un pirate de l’espace et un rugbyman ? Je l’ignore), et il a secoué bien fort. On remarque qu’Albator et tout simplement l’anagramme de Balator.
Un rugbyman, la crainte d’une confusion avec un célèbre personnage de BD belge, un symbole de liberté qui renvoie à un poème de Baudelaire. Pas grand-chose à voir avec le personnage créé par un japonais et la culture de son pays. Celle-ci a été plus ou moins gommée par des références très occidentales dans le doublage. Et ce fut le cas pour tous les animes de cette époque, ce qui à mon avis a quelque peu biaisé la perception de la japanimation en général pendant un bon bout de temps.
21:50 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : albator, anime, manga, japanimation, censure, leiji matsumoto, tezuka, goldorak, captain harlock, japon